Un permis pour construire des éoliennes dépassées (Soir Mag du 1er mai 2019)

Si vous voulez construire une éolienne, armez-vous de patience, tant les recours sont pléthore ! L’aventure de HesbEnergie en témoigne de manière emblématique. Cette coopérative citoyenne de production d’énergie renouvelable en Hesbaye collecte les

fonds de particuliers qui souhaitent participer au développement de sources d’énergie verte, comme les éoliennes. Elle s’associe ainsi avec d’autres coopératives et de grands noms du secteur (Eneco, Engie Electrabel…) pour cofinancer des éoliennes. Cela, c’est pour la théorie… « Nous avons une dizaine de projets éoliens concrets, mais presque tous sont bloqués », déplore Bernard Deboyser, administrateur de la coopérative. « Tous font l’objet de recours »… Un vrai parcours du combattant vert, avec ses terrains

d’affrontement comme la plaine de Boneffe, à la limite des provinces de Namur et du Brabant wallon. Un parc de neuf éoliennes (dont une érigée avec la participation de 2 000 citoyens investisseurs), d’une hauteur de 150 m et d’une puissance de 2 MW chacune, devrait produire en un an l’équivalent de la consommation électrique de 14 000 familles. Devrait… Depuis 2008, le parc a fait l’objet de cinq permis successifs accordés par la Région wallonne et d’autant de recours au Conseil d’État. Le cinquième est même aujourd’hui attaqué par… l’armée qui, après avoir accepté les quatre premiers permis, trouve désormais qu’elle pourrait tout de même de temps en temps larguer des parachutistes en exercice dans cette zone précise… « Le changement climatique demande des actions immédiates, les jeunes le crient assez fort dans nos rues. Mais tout est fait pour mettre des bâtons dans les roues de ceux qui proposent des solutions » rage Bernard Deboyser. Le projet de la plaine de Boneffe traîne depuis onze années. Et M. Deboyser pourrait donner bien d’autres exemples. « Nous nous trouvons face à des opposants très bien organisés, avec des moyens financiers importants, capables d’engager des avocats spécialisés très compétents. Ces opposants sont ultra-minoritaires, mais parviennent à tout bloquer… »

EDORA MONTE AU CRÉNEAU

Les coopératives citoyennes ne sont pas les seules à râler. Dans une interview récente à « La Libre », Michel de Schaetzen, patron d’Eneco Wind, l’un des principaux producteurs éoliens en Wallonie, explique que les délais d’obtention d’un permis sont passés de deux années en moyenne à cinq années, voire huit à dix pour certains projets ! « En Wallonie, nos projets sont systématiquement attaqués. L’opposition aux projets éoliens est très structurée. L’association Vent de Raison joue un rôle d’agitateur. Ils viennent dans les

réunions d’information et font mousser la contestation. Il n’y a souvent que deux ou trois riverains qui s’opposent aux projets, mais cela allonge considérablement la procédure d’octroi des permis », déclare M. de Schaetzen. Résultats ? Après cinq, huit ou dix ans de procédure, les permis sont octroyés pour des éoliennes complètement dépassées… En Wallonie, les éoliennes installées sont des modèles d’ancienne génération, moins performants, qui produisent jusqu’à deux fois moins d’électricité ! Un gâchis complet que déplore également Edora, la fédération des énergies renouvelables. « Nous lançons un appel aux futurs gouvernements pour obtenir des délais de rigueur au Conseil d’État. Une décision doit y être rendue dans les six mois, et pas deux ans comme aujourd’hui. Il en va aussi de l’intérêt des requérants » nous explique Fawaz Al Bitar, directeur général d’Edora. Les éoliennes modernes, plus grandes, plus discrètes, car plus effilées doivent être favorisées, explique-t-il aussi. « En Wallonie, placer une éolienne de plus de 150 mètres de haut est très compliqué, alors que 95 % des nouvelles éoliennes sur le marché dépassent cette taille. » La multiplication des recours complique aujourd’hui toute évolution dans ce secteur. « Nos sondages prouvent pourtant que 80 à 85 % des riverains d’un futur parc éolien sont favorables à son installation. Et le chiffre d’avis positifs augmente encore quand les turbines sont installées et que les gens ont constaté qu’il n’y avait pas les nuisances redoutées ». Mais il reste 5 % d’opposants, bien épaulés par Vent de Raison, qui entravent le développement de la filière. La Belgique s’est engagée à développer 13 % d’énergies renouvelables fin 2020. On en est aujourd’hui à 9 %. « Notre pays risque de ne pas atteindre cet objectif », prévient Fawaz Al Bitar.

C’EST QUI « VENT DE RAISON » ?

Dans chaque discussion, une association d’opposants revient : Vent de Raison. Cette asbl explique sur son site être une plate-forme citoyenne « fédérant 70 000 citoyens opposés à plus de 80 projets éoliens ». Elle dispose de suffisamment de moyens en tout cas pour rassembler de nombreux petits comités locaux, en leur fournissant l’appui de juristes spécialisés qui excellent dans les recours. Dans la tête de quelques militants de la cause éolienne, Vent de Raison serait financée par le secteur… nucléaire. Peu crédible, dans la mesure où les grandes sociétés du nucléaire, à commencer par Engie Electrabel, sont aussi promoteurs de champs d’éoliennes attaqués par Vent de Raison… Selon une enquête Inter Environnement Wallonie (IEW), Vent de Raison est davantage un groupement d’opposants éolien terrestre (pas à l’éolien en mer), bénéficiant de cotisations de ses membres et de donateurs, notamment de grands propriétaires terriens wallons qui voient d’un mauvais œil la plantation d’éoliennes dans leur paysage. IEW relève aussi, sur les réseaux sociaux de Vent de Raison, des publications climatosceptiques ou pronucléaires. « Ils propagent aussi beaucoup de fausses informations pour faire peur », ajoute Fawaz Al Bitar. Le vent n’est pas près de se calmer.

Benoit Franchimont